Obligation de l'assureur de présenter une offre d'indemnisation complète dans les délais légaux
- Albertine Guez
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Dernière mise à jour : il y a 2 jours
Par Leïla Merhdaoui et Albertine Guez
Cour de cassation, Deuxième chambre civile, 28 mai 2025, n° 23-11.307, Inédit
Les accidents de la circulation génèrent des préjudices souvent graves pour les victimes, dont l’indemnisation rapide et complète constitue un objectif majeur du législateur. C’est dans ce contexte qu’a été instaurée une obligation pesant sur l’assureur de formuler, dans des délais stricts, une offre d’indemnisation complète. Cette obligation est prévue aux articles L. 211-9 et L. 211-13 du Code des assurances, qui visent à éviter que les victimes ne soient laissées dans l’incertitude pendant une durée excessive.
L'arrêt de la Cour de cassation, deuxième chambre civile, rendu le 28 mai 2025 (n° 23-11.307), apporte des clarifications essentielles concernant l'application de la sanction du doublement du taux de l'intérêt légal en cas de non-respect de cette obligation.
La question centrale que la Cour a eu à trancher était de savoir si une offre d'indemnisation tardive, mais non jugée manifestement insuffisante, devait entraîner l'application de la sanction du doublement des intérêts légaux sur l'intégralité des sommes allouées par le juge, ou si son assiette et sa durée devaient être tempérées.
L'affaire trouve son origine dans un accident de la circulation survenu le 11 septembre 2016, impliquant M. [D], motocycliste victime, et un véhicule assuré par la société GMF assurances.
M. [D] a assigné la GMF assurances en indemnisation de ses préjudices devant le tribunal de grande instance. L'affaire est ensuite portée devant la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion qui a notamment constaté que l'offre d'indemnisation de la GMF assurances était tardive par rapport au délai.
En conséquence, elle a décidé que les indemnités prononcées produiraient de plein droit intérêt au double du taux de l'intérêt légal. La société GMF assurances a formé un pourvoi principal contre cette décision.
1. L'obligation de présenter une offre complète et dans les délais
L’article L. 211-9 du Code des assurances impose à l’assureur, garant du conducteur responsable, de présenter à la victime une offre d’indemnisation dans un délai maximum de huit mois à compter de l’accident, lorsque celle-ci a subi des dommages corporels.
Lorsque la victime présente une demande d’indemnisation chiffrée, l’assureur doit répondre ou formuler une offre motivée dans un délai de trois mois, sauf si la responsabilité est contestée ou le dommage non entièrement quantifié.
Si l’état de santé de la victime n’est pas encore consolidé dans les trois mois suivant l’accident, l’assureur est tenu de présenter une offre provisionnelle. L’offre définitive devra alors être faite dans les cinq mois suivant la date de consolidation. En tout état de cause, le délai le plus favorable à la victime s’applique.

Selon ces dispositions, l’offre d’indemnité doit être complète. D’après la jurisprudence[1], une offre est considérée comme complète lorsqu’elle porte sur l’ensemble des postes de préjudice et qu’elle est manifestement suffisante.
Le respect de ces conditions est essentiel, sous peine de sanctions financières pour l’assureur.
Conditions de l’obligation de l’assureur : ▪ Elle doit être écrite et motivée ▪ L’offre doit être complète : doit couvrir l’ensemble des préjudices prévisibles au moment où elle est formulée. ▪ Elle ne s’applique qu’en cas de dommages corporels ▪ Lorsque l’état de santé de la victime n’est pas encore consolidé : l’assureur est tenu de présenter une offre provisionnelle, dans l’attente d’une indemnisation définitive. |
2. La sanction en cas de non-respect des délais
Lorsque l'offre d'indemnité n'a pas été faite dans les délais légaux, une sanction s'applique : le montant de l'indemnité offerte par l'assureur ou allouée par le juge produit des intérêts de plein droit, au double du taux de l'intérêt légal. Ces intérêts courent " à compter de l'expiration du délai et jusqu'au jour de l'offre ou du jugement devenu définitif ".
En vertu de l'article L. 211-13 du code des assurances, “ lorsque l'offre n'a pas été faite dans les délais impartis à l'article L. 211-9, le montant de l'indemnité offerte par l'assureur ou allouée par le juge à la victime produit un intérêt de plein droit au double du taux de l'intérêt légal à compter de l'expiration du délai et jusqu'au jour de l'offre ou du jugement devenu définitif. Cette pénalité peut être réduite en raison de circonstances non imputables à l'assureur “.
Dans l'affaire jugée, la cour d'appel avait constaté que l'offre de la GMF assurances était tardive, ayant été adressée le 30 novembre 2021 alors que le délai expirait le 29 octobre 2021. Elle avait en conséquence décidé que les indemnités dues par l'assureur produiraient de plein droit intérêt au double du taux de l'intérêt légal à compter du 29 octobre 2021 jusqu'au 25 novembre 2022.
Quand l'assureur ne propose pas d’indemnisation dans les délais légaux, il est sanctionné : ▪ Les indemnités versées produisent des intérêts automatiquement, ▪ Au double du taux légal, ▪ À partir de la fin du délai légal jusqu’à l’offre tardive ou au jugement définitif. |
3. La nuance apportée par la Cour de cassation concernant la "suffisance" de l'offre
C'est sur ce point précis que la Cour de cassation a cassé partiellement la décision de la cour d'appel. La Cour a reproché à la cour d'appel de ne pas avoir recherché si l'offre présentée par l'assureur, bien que tardive, était manifestement insuffisante
La Cour de cassation a rappelé qu'en matière de sanction du doublement des intérêts :
● Si l'offre de l'assureur est tardive mais suffisante, le doublement du taux de l'intérêt légal a pour assiette l'indemnité offerte par l'assureur et ne s'applique que jusqu'au jour de l'offre.
● Ce n'est que si l'offre est non seulement tardive mais aussi manifestement insuffisante que la sanction du doublement du taux légal s'applique à l'intégralité du montant des indemnités allouées par le juge.
En l'absence de recherche sur la suffisance de l'offre de la GMF assurances, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision d'appliquer les intérêts au double du taux légal sur l'intégralité des indemnités fixées par l'arrêt. La Cour de cassation a donc cassé l'arrêt sur ce point et renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, autrement composée, pour qu'elle procède à cette recherche.
Implication de cette distinction : ▪ Si l'offre est tardive mais suffisante, la sanction du doublement du taux de l'intérêt légal a pour assiette l'indemnité offerte par l'assureur et ne s'applique que jusqu'au jour de cette offre. ▪ Ce n'est que si l'offre est non seulement tardive mais aussi manifestement insuffisante que la sanction du doublement du taux légal s'applique à l'intégralité du montant des indemnités allouées par le juge, et ce, jusqu'au jugement définitif |

CONCLUSION
Cette jurisprudence vise à assurer une application plus juste et proportionnée de la sanction. Elle concilie l'objectif de célérité de l'indemnisation avec la nécessité de ne pas pénaliser excessivement les assureurs qui, malgré un délai dépassé, auraient formulé une offre sérieuse et non dérisoire.
Parallèlement, elle maintient une protection robuste pour les victimes, en garantissant une sanction significative lorsque l'assureur manque non seulement à son devoir de diligence mais aussi à son obligation de présenter une offre complète et adéquate.
Cette décision devrait inciter à une plus grande rigueur dans la gestion des dossiers d'indemnisation et à une argumentation plus précise devant les juridictions concernant la qualité des offres formulées. Elle marque un pas de plus vers une jurisprudence affinée, cherchant l'équilibre entre la protection de la victime et la proportionnalité des sanctions imposées aux assureurs, conformément à l'esprit des articles L. 211-9 et L. 211-13 du Code des assurances.
[1] Cour de cassation, deuxième chambre civile, 23 janvier 2025, n° 22-23.015
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